L'AFFAIRE FAREWELL
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Résumé
Distribution :
Moscou, au début des
années 80, en pleine Guerre Froide.
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Vladimir Vetrov
Vladimir Ippolitovitch Vetrov, né le 10 octobre 1932, également connu sous son
nom de code « Farewell », est un lieutenant-colonel soviétique du KGB
responsable de la section Europe occidentale de ce service1. Devenu agent double
au service de la DST, il a permis à celle-ci et aux autres services occidentaux
de renseignement de mieux connaître les méthodes et la structure du KGB dans les
années 1980, en pleine guerre froide. Selon Ronald Reagan, alors président des
États-Unis, c'est « la plus grande affaire d’espionnage du XXe siècle », et pour
l'historien Marc Ferro, cette histoire a contribué à la chute de l’URSS2.
Vladimir Vetrov a été « grillé » le 5 avril 1983 par François Scheer qui
argumenta l’expulsion de 47 agents soviétiques en poste à Paris en montrant à
l’ambassadeur soviétique un document fourni par l’agent double, qui purgeait
alors une peine de 12 ans de Goulag à Irkoutsk pour meurtre. Le KGB l’identifie
comme étant « Farewell » : il est jugé, condamné à mort pour haute trahison et
exécuté le 23 janvier 1985 dans une prison à Moscou. Il avait 52 ans.
Biographie
Vladimir Vetrov est né à Moscou dans une famille modeste (son père est
contremaître, sa mère, illettrée, travaille comme femme de chambre). Élève
brillant, il poursuit des études dans une école d'ingénieur à Moscou et se
spécialise en électronique. Après cinq ans de formation, il obtient un poste
d'ingénieur dans une usine de machines à calculer. Présenté comme un étudiant
doué, fréquentant assidûment les salles de sport et en outre père de famille
attentionné, il se fait remarquer par les sergents recruteurs du KGB qui lui
font suivre une longue formation dans la principale centrale d'espionnage
soviétique. Il y apprend l'anglais, le français et les techniques d'espionnage.
En 1965, il est placé à l'ambassade d'URSS à Paris, attaché au développement du
commerce soviétique avec la France. Il recrute des agents chargés de fournir à
l'Union soviétique des informations techniques dont elle a besoin, prend contact
avec des ingénieurs français afin d'obtenir contre rémunération des matériels de
haute technologie interdits à l'exportation. Il se fait repérer assez rapidement
par la DST, qui suit ses mouvements et prend contact avec lui de façon
informelle, notamment par Jacques Prévost, haut cadre chez Thomson-CSF mais
aussi collaborateur occasionnel de la DST. Ce dernier lui rend un grand service
à la fin de son séjour parisien lorsque Vetrov, éméché, détruit son véhicule de
fonction dans un accident de voiture, ce qui peut lui valoir de très sérieux
ennuis avec l'ambassade. Il s'adresse alors à son ami Prévost qui fait réparer à
ses frais la voiture dans l'urgence. Vetrov a désormais une dette de
reconnaissance.
En 1970, au bout de cinq ans, il doit retourner à Moscou, affecté à un ministère
technique, avant qu'il soit envoyé au Canada dans la mission commerciale de
l'ambassade d'URSS. Mais, naguère officier de renseignement, il ressent cette
nouvelle affectation de bureaucrate comme un désaveu. Il en conçoit une certaine
rancœur qui affecte sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Souvent ivre
dès le matin, il est renvoyé au bout de 9 mois à peine en Union soviétique.
Il est nommé chef adjoint du département de l'information, responsable de
l'espionnage technique à l'étranger. Il a accès à l'ensemble des sources
provenant des informateurs occidentaux. Au printemps 1980, il se décide à faire
le saut : il contacte le contre-espionnage français, la DST, sachant que ce
service est moins surveillé par le KGB. À ce moment, il fait appel à son ami
français Jacques Prévost, directeur des ventes de Thomson CSF en URSS, pour
proposer son aide en tant qu'agent double aux services de renseignement français
et transmettre des documents classifiés. C'est alors que la DST lui attribue un
nom de code : « Farewell » (nom de code anglais choisi à bon escient : en cas
d'échec, l'histoire pourrait être attribuée à un service de renseignement
anglo-saxon). Les documents fournis à Xavier Ameil, ingénieur de chez
Thomson-CSF en poste à Moscou (son entreprise ayant hérité de gros contrats à
l'approche des Jeux olympiques d'été de 1980) puis à Patrick Ferrant,
professionnel du renseignement et attaché militaire à Moscou, révèlent le
fonctionnement du système soviétique et l'organisation de l'espionnage de
l'Occident.
Lorsque François Mitterrand parvient au pouvoir après l'élection présidentielle
française de 1981, il est mis au courant de cette affaire par Marcel Chalet,
directeur de la DST. Lors du sommet du G7 à Ottawa en juillet 1981, Mitterrand
met personnellement au courant Ronald Reagan de l'affaire. Ce geste rassure les
Américains, très inquiets de l’entrée de ministres communistes dans le
gouvernement français. Au cours de l'été, une coopération est mise en place et
la DST transmet aux Américains certaines informations sur le degré
d'infiltration des services d'espionnage de l'Union soviétique et sur le fait
que toute leur couverture radar aérienne a été démasquée par les agents russes.
Selon Marcel Chalet, « Farewell » fournit à la France entre 1980 et 1982, 2997
pages de documents en majeure partie frappés du cachet indiquant le niveau de
classification maximal, ainsi que ses méthodes d'espionnages industriel et
scientifique. Il fournit également une liste de 250 agents de ligne X du KGB,
c'est-à-dire les officiers de renseignement chargés de recueillir les
renseignements scientifiques et techniques à travers le monde, et de 170 agents
du KGB appartenant à d'autres directions du KGB et du GRU.
Ces informations, exploitées par la DST, permirent à la France de faire expulser
47 Russes principalement du corps diplomatique (dont 8 agents du KGB faisant
partie de la liste remise par Vetrov) résidant en France le 5 avril 1983, peu
après la nomination du préfet Yves Bonnet à la tête de la DST. Sur ce total, 40
étaient investis de fonctions diplomatiques, deux exerçaient le métier de
journaliste et cinq officiaient dans différents organismes commerciaux.
Pour justifier ces expulsions, le chef de cabinet du Ministère des Affaires
étrangères de Claude Cheysson, François Scheer, convoqua l'ambassadeur de
l'Union soviétique à Paris et lui montra l'original de la liste des membres du
KGB résidant en France, transmise par Vetrov, simplifiant ainsi le travail du
service de contre-espionnage soviétique pour trouver qui aurait pu être en
possession de ce document.
À la même époque, Vetrov, craignant d'être démasqué, tente le 22 février 1982
d'assassiner sa maîtresse Ludmilla (croyant qu'elle le trompe), tue un milicien
qui tentait de s'interposer et qu'il avait pris pour un espion, se fait arrêter
par la milice et envoyer dans un camp pour crime passionnel sans que les
autorités se doutent de ses actes d'espionnage. C'est un an plus tard que les
enquêteurs du KGB l'identifient comme l'agent double qu'ils recherchaient. Il
aurait été exécuté d'une balle dans la nuque à la prison de Lefortovo à Moscou.